29/09/16 20h30 : faire le point.

J'avais passé la journée à me promener. Et en réalité, je ne pense pas que ça avait été une très bonne idée...
De souvenirs de travaux forcés, le bois que je devais couper à la hache, les champignons, les travaux des champs... ce foutu tracteur tombant en panne bien trop souvent... cette petite buée suspendues à nos lèvres à chaque expiration...

Je déteste tout cela. Je suis fatigué.
Fatigué de me souvenir. Pendant longtemps refoulé, parfois remontant, mais toujours faiblement, un peu comme le mauvais souvenir d'un film trop froid, trop fataliste et trop déprimant... pas ma vie. Ma vie avait commencé à l'Université, mes études de médecines, notre appart insalubre, mais libre, moi et Glove.
Glove... je te laisse trop seule... et pourtant aujourd'hui, c'est moi qui souffre de solitude.

Sauf que maintenant, un peu comme si le barrage avait céder, les souvenirs à flot, la réalité de ses images, je ne trouve pas d'échappatoire. Pas d'issue. C'était moi.
C'était ce garçon que pourtant je semblais suivre en observateur extérieur. Extérieur à soi-même...
Flegmatique, hermétique, froid, distant... des qualificatifs devenus identité. J'ai perdu dans mon passé mon essence, mon âme...

Je suis assis sur un tronc couché, j'écoute à peine les bruits de la forêt, j'écoute bien trop de mes pleurs du passé, sans pourtant arriver à les faire sortir aujourd'hui, sur mes joues.

Vers 20h30, je reçois le sms d'Indi, je le reçois avec cette satisfaction, les gars m'ont manqué, et je commence à avoir faim, et cette appréhension... à chaque fois que quelqu'un se dit "si on se réunissait tous ensemble pour manger et se détendre" il se passe un truc, ça tourne mal, quelqu'un lâche une bombe, bref... j'ai pas la force de supporte encore un truc pareil.

Mais j'essaie de me rassurer, me disant que je suis négatif, et pas objectif, faussé par mon humeur morose. Évidement ça ne marche que moyennement, on a quand même la soirée film, les essais de repas, le fameux petit dèj' où Glove... bref.

J'appelle Glove et la préviens, elle semble toute aussi partagée dans ses émotions...
- Glove, qu'est-ce que tu essaies de cacher ?
- J'ai... j'ai fait une bêtise...
- Ça concerne Joshua ?
- Oui... j'ai... quand il m'a demandé de faire des recherches sur le flic...
- Tu as fais des recherches sur lui ? demande-je presque rhétorique, sûr de ce que j'avance.
- Oui mais je voulais pas le trahir, mais je sais pas ce qu'il m'a pris... je... je me suis pas rendu compte et puis quand j’ai réalisé, j'avais lu... comment tu as deviné ?
- Je me demandais souvent comment se pouvait-il que tu résistes aussi longtemps à la tentation, disons que je me doutais que ça arriverait un jour. Je préviens Talulla de leur arrivée, puis je passe te voir dans la chambre okay ?
- Zek... je ne veux pas que Joshua soit fâché...
- J'arrive Glove...

Je raccroche, me remets en route.
J'appelle Talulla.

Sa voix... je la mets si mal à l'aise...

- Luc et compagnie rentrent dans moins d'une heure, Indi prépare une raclette, elle voudrait qu'on soit tous là... Je sais que... ce matin... j'ai pas assuré Talulla. Je te demande pardon, je... je fais de mon mieux, mais je sais que ce n'est pas suffisant.

J'étais à présent dans la coure, il fallait que j'aille voir Glove...

Elle a raccroché.
Et bien que le bip incessant me le crie de toute cette réalité, de cette certitude indéniable : Je reste statufié au milieu de la coure, le téléphone sur l'oreille.

On va en parler ? De quoi ? Pourquoi elle a mit fin à cette discussion ? Parler de quoi, de la raclette ?

Peu probable.
Alors de quoi ? De ce malaise, du fait que bien que j'essaie d'arrêter cette éloignement, d'arrêter de la fuir... c'est elle maintenant... c'est elle qui me fuit... c'est elle qui me repousse...

J'éloigne de moi le téléphone et son bip qui m'agresse, mon téléphone pourrait tout aussi bien me crier "sale con sale con sale con" en boucle, ce serait bien le même message.

Elle va vouloir qu'on arrête.


Moi qui déteste courir, je me mets à courir, essayant de rejoindre ma chambre le plus rapidement possible avant un flot incontrôlable.